Jean-Christophe VIII by Rolland Romain

Jean-Christophe VIII by Rolland Romain

Auteur:Rolland, Romain [Rolland, Romain]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: BEQ
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


*

À la suite de cette nuit, elle disparut, pour des semaines. Lui, en qui cette nuit avait rallumé une ardeur sensuelle, qui depuis des mois dormait, il ne put se passer d’elle. Elle lui avait fait défense de venir dans sa maison ; il alla au théâtre. Il était aux dernières places, caché ; et il était brûlé d’amour et d’émotion ; il frissonnait jusqu’aux moelles ; la fièvre tragique qu’elle mettait à ses rôles le consumait avec elle. Il finit par lui écrire :

« Mon amie, vous m’en voulez donc ? Pardonnez-moi, si je vous ai déplu. »

Au reçu de cet humble mot, elle accourut chez lui, elle se jeta dans ses bras.

« C’eût été mieux de rester bons amis, simplement. Mais puisque c’était impossible, inutile de résister à l’inévitable. Advienne que pourra ! »

Ils mêlèrent leur vie. Chacun d’eux conservait pourtant son appartement et sa liberté. Françoise eût été incapable de se plier à une cohabitation régulière avec Christophe. D’ailleurs, sa situation ne s’y prêtait guère. Elle venait chez Christophe, passait avec lui une partie des journées et des nuits ; mais chaque jour, elle retournait chez elle, et elle y passait aussi des nuits.

Pendant des mois de vacances, où le théâtre était fermé, ils louèrent ensemble une maison, aux environs de Paris, du côté de Gif. Ils y vécurent des jours heureux, malgré quelques voiles de tristesse. Jours de confiance et de travail. Ils avaient une belle chambre claire, haut perchée, avec un large horizon libre, au-dessus des champs. La nuit, par les carreaux, ils voyaient, de leur lit, les ombres étranges des nuages passer sur le ciel d’une clarté mate et sombre. Dans les bras l’un de l’autre, à demi endormis, ils entendaient les grillons ivres de joie chanter, les pluies d’orage tomber ; l’haleine de la terre d’automne – chèvrefeuille, clématite, glycine, herbe fauchée – pénétrait la maison et leurs corps. Silence de la nuit. Sommeil à deux. Silence. Très loin, les aboiements des chiens. Chants des coqs. L’aube point. L’angélus grêle tinte au clocher lointain, dans le petit-jour gris et froid, qui fait frissonner les corps dans la tiédeur du nid et les fait se serrer plus amoureusement. Réveil des cris d’oiseaux dans la treille agrippée au mur. Christophe ouvre les yeux, retient son souffle, et, le cœur attendri, regarde auprès de lui le cher visage las de l’amie endormie, et sa pâleur d’amour...

Leur amour n’était point une passion égoïste. C’était une amitié profonde, où le corps voulait aussi sa part. Ils ne se gênaient pas. Chacun travaillait, de son côté. Le génie de Christophe, sa bonté, sa trempe morale, étaient chers à Françoise. Elle se sentait son aînée en certaines choses, et elle en avait un plaisir maternel. Elle regrettait de ne rien comprendre à ce qu’il jouait : elle était fermée à la musique, sauf à de rares moments où elle était prise d’une émotion sauvage, qui tenait moins à la musique qu’aux passions qui l’imprégnaient alors, elle et tout ce qui l’entourait, le paysage, les gens, les couleurs et les sons.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.